La croyance relative à Agrippa

Henri-Corneille Agrippa est un médecin et un philosophe, contemporain d'Érasme, l'un des plus savants hommes de son temps, dont on l'a appelé le Trismégiste, mais doué d'extravagance. Il est né à Cologne en 1486, mort en 1535, après une carrière orageuse, chez le receveur général de Grenoble, et non à Lyon, ni dans un hôpital, comme quelques-uns l'ont écrit.


Un homme controversé

Agrippa avait été lié avec tous les grands personnages et recherché de tous les princes de son époque. Chargé souvent de négociations politiques, il fit de nombreux voyages, que Thevet, dans ses Vies des hommes illustres, attribue à la manie « de faire partout, des tours de son métier de magicien, ce qui le faisoit reconnoistre et chasser incontinent. »
Les démonologues, qui sont furieux contre lui, disent qu'on ne peut le représenter que comme un hibou, à cause de sa laideur magique. Aussi, de crédules narrateurs ont écrit gravement que dans ses voyages il avait coutume de payer ses hôtes en monnaie fort bonne en apparence, mais qui se changeait, au bout de quelques jours, en petits morceaux de corne, de coquille ou de cuir, et quelquefois en feuilles d'arbres.
Il est vrai qu'à 20 ans il travaillait à la chrysopée ou alchimie, mais il ne trouva jamais le secret du grand œuvre. Il est vrai aussi qu'il était curieux de choses étranges, et qu'il aimait les paradoxes: son livre de la La vanité des sciences, que l'on considère comme son chef-d'oeuvre, en est une preuve. Mais au chapitre XIII de ce livre, il déclame contre la magie et les arts superstitieux. Si donc il fut obligé plus d'une fois de prendre la fuite pour se soustraire aux mauvais traitements de la populace, qui l'accusait de sorcellerie, n'est-il pas permis de croire ou que son esprit caustique, et peut-être ses mœurs mal réglées, lui faisaient des ennemis, on que son caractère d'agent diplomatique le mettait souvent dans des situations périlleuses, ou que la médecine empirique, qu'il exerçait, l'exposait à des catastrophes. À moins qu'il ne faille croire, en effet, que cet homme avait réellement étudié la magie dans ces universités mystérieuses dont nous ne savons pas encore les secrets?
Quoi qu'il en soit, Louise de Savoie, mère de François Ier, le prit pour son médecin. Elle voulait qu'il fût aussi son astrologue, ce qu'il refusa. Et pourtant on soutient qu'il prédisait au trop fameux connétable de Bourbon des succès contre la France. Si cette allégation est vraie, c'était semer la trahison, et Agrippa était un fripon ou un fourbe.


Défenseur ou ennemi de la magie?

Mais on établit encore l'éloignement d'Àgrippa pour le charlatanisme des sorciers en rappelant ce fait que, pendant le séjour qu'il fit à Metz, remplissant les fonctions de syndic ou avocat-général (car cet homme fit tous les métiers), il s'éleva très vivement contre le réquisitoire de Nicolas Savin, qui voulait faire brûler comme sorcière une paysanne. La spirituelle et vive éloquence d'Agrippa fit absoudre cette fille. A cela les partisans de la sorcellerie d'Agrippa répondent, qu'il n'est pas étonnant qu'un pareil compère ait défendu ceux qui pratiquaient la magie, puisqu'il la pratiquait lui-même.
Ils ajoutent que, tandis qu'il professait à l'université de Louvain, il infecta ses écoliers d'idées magiques.
« Un de ses élèves, lisant auprès de lui un certain livre de conjurations, fut étranglé par le diable. Agrippa, craignant qu'on ne le soupçonnât d'être l'auteur ou la cause de cette mort arrivée dans sa chambre, commanda à l'esprit malin d'entrer dans le corps qu'il venait d'étouffer, de ranimer le jeune homme et de lui faire faire avant de le quitter sept ou huit tours sur la place publique. Le diable obéit, et le corps du jeune étranglé, après avoir paradé pendant quelques minutes, tomba sans vie devant la multitude de ses camarades, qui crurent que ce n'était là qu'une mort subite. »
Ce ne fut pas pourtant à cause de semblables faits qu'il partit de cette ville savante. Ce fut parce qu'il s'y était fait des ennemis, à qui il donna un prétexte par la publication de son ouvrage de La philosophie occulte. On accusa ce livre d'hérésie et de magie. Et en attendant qu'il fût jugé, l'auteur passa une année dans les prisons de Bruxelles. Il en fut tiré par l'archevêque de Cologne, qui avait accepté la dédicace du livre, dont il reconnut publiquement que l'auteur n'était pas sorcier. Les pensées de ce livre et celles que le même savant exposa dans son commentaire In artem brevem Raymundi Lullii, ne sont que des rêveries.


Les commentaires sur ce personnage mystérieux et son œuvre

Ce qui surtout a fait passer Agrippa pour un grand magicien, c'est un fatras plein de cérémonies magiques et superstitieuses qu'on publia sous son nom 27 ans après sa mort, qu'on donna comme le quatrième livre de sa Philosophie occulte, et qui n'est qu'un ramassis de fragments décousus de Pierre d'Apone, de Pictorius, et d'autres songes-creux.
Cependant De L'Ancre ne porte son accusation que sur les trois premiers livres. « Agrippa, dit-il, composa trois livres assez grands sur la magie démoniaque, mais il confessa qu'il n'avait jamais eu aucun commerce avec le démon, et que la magie et la sorcellerie (hors les maléfices) consistaient seulement en quelques prestiges au moyen desquels l'esprit malin trompe les ignorants. »
Thevet n'admet pas ces palliatifs. « On ne peut nier, dit-il, qu'Agrippa n'ait été ensorcelé de la plus fine et exécrable magie, de laquelle, au vu et au su de chacun, il a fait profession manifeste. Il étoit si subtil, qu'il qrippoit de ses mains crochues des trésors que beaucoup de vaillants capitaines ne pouvoient gagner par le cliquetis de leurs armes et leurs combats furieux. Il composa le livre de La philosophie occulte, censuré par les chrétiens, pour lequel il fut chassé de Flandre, où il ne put dorénavant être souffert, de manière qu'il prit la route d'Italie, qu'il empoisonna tellement que plusieurs gens de bien lui donnèrent encore la chasse, et il n'eut rien de plus hâtif que de se retirer à Dôle. Enfin il se rendit à Lyon, dénué de facultés ; il y employa toutes sortes de moyens pour vivoter, remuant le mieux qu'il pouvoit la queue du bâton ; mais il gagnoit si peu qu'il mourut en un chétif cabaret, abhorré de tout le monde, et délesté comme un magicien maudit, parce que toujours il menoit en sa compagnie un diable sous la figure d'un chien noir. »
Paul Jove ajoute qu'aux approches de sa mort, comme on le pressait de se repentir, il ôta à ce chien, qui était son démon familier, un collier garni de clous qui formaient des inscriptions nécromantiques, et lui dit: Va-t'en, malheureuse bête, c'est toi qui m'as perdu; qu'alors le chien prit aussitôt la fuite vers la rivière de Saône, s'y jeta la tête en avant et ne reparut plus.
De L'Ancre rapporte autrement cette mort, qui n'eut pas lieu dans un cabaret de Lyon, mais, comme nous l'avons dit, à Grenoble. « Ce misérable Agrippa, dit-il, fut si aveuglé du diable, auquel il s'étoit soumis, qu'encore qu'il connût très bien sa perfidie et ses artifices, il ne les put éviter, étant si bien enveloppé dans les rets d'icelui diable, qu'il lui avoit persuadé que, s'il vouloit se laisser tuer, la mort n'auroit nul pouvoir sur lui, et qu'il le ressusciteroit et le rendrait immortel; ce qui advint autrement, car Agrippa s'étant fait couper la tête, prévenu de cette fausse espérance, le diable se moqua de lui et ne voulut (aussi ne le pouvoit-il) lui redonner la vie pour lui laisser le moyen de déplorer ses crimes. »
Wiérus, qui fut disciple d'Agrippa, dit qu'en effet cet homme avait beaucoup d'affection pour les chiens, qu'on en voyait constamment deux dans son étude, dont l'un se nommait Monsieur et l'autre Mademoiselle, et qu'on prétendait que ces deux chiens noirs étaient deux diables déguisés.
Tout, cela n'empêche pas qu'on ne soit persuadé, dans quelques provinces arriérées, qu'Agrippa n'est pas plus mort que Nicolas Flamel, et qu'il se conserve dans un coin, ou par l'art magique, ou par l'élixir de longue vie.

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