La croyance relative à Fribourg

M. Lucien Brun a publié cette curieuse légende des deux Fribourg.


La colère de Blumenthal

Wilfrid de Thanenburg, un des riches gentilshommes de Fribourg en Brisgaw, fêtait ses accordailles avec la noble héritière de Rosenberg. Les vins du Rhin, des meilleurs crus, coulaient largement dans des coupes souvent vidées.
Le vieux bourgmestre Conrad de Blumenthal céda doucement à une impulsion communicative, et ne manqua pas, après des révélations que l'histoire n'a pas conservées, d'épancher quelque dose de mauvaise humeur contre l'archevêque Adhémard, qui lui rognait ses privilèges. Les convives se récrièrent, sur ce courage inconnu, dont ils firent, du reste, tous les honneurs au tokay, et chacun de rappeler au bourgmestre les prétentions de l'archevêque, suivies d'autant de soumissions du digne magistral.
« — Par saint Conrad, Messeigneurs! s'écria-t-il aiguillonné, ne saurai-je donc pas mettre un frein à ses empiétements?
— Eh! mais, nous avons tout lieu de le croire! lui dit un de ses voisins.
— Eh bien! je veux que Satan nous emporte, et avec nous la moitié de notre bonne ville, si hier déjà je ne lui ai fait sentir combien son arrogance me déplaît, et si demain... »
En ce moment un éclat de rire moqueur, la chute de quelques vases et d'un riche bahut, interrompirent le bourgmestre:
« — Qui ose rire? s'écria-t-il exaspéré, quoiqu'un peu inquiet, du mensonge qu'il venait de faire. Qui veut que je lui prouve ce que j'avance?
— C'est, toi qui fais tout ce bruit! dit Wilfrid à un vieux serviteur effrayé.
— Non, monseigneur, mais quand on a parlé du diable, j'ai senti...
— Le brûlé, je parie, s'écria Wilfrid en riant. Eh bien! donne-nous du vin et laisse le diable en paix, s'il peut y rester. »


L'intervention du diable

Cette saillie détourna l'attention, et les convives eurent bientôt oublié la colère de Blumenthal et le court incident qui en était résulté. Ils s'amusèrent beaucoup toutefois de la figure bouleversée du vieil échanson, qui affirma très positivement qu'il avait vu fuir les forêts et failli se heurter à la lune, qui n'était pas à hauteur d'homme. Or voici ce qui ce passait:
Le bourgmestre avait été pris au mot par Satan lui-même, qui faisait voyager, pour son instruction, un jeune diable. « Mon fils, lui avait-il dit, quand tu sauras qu'il y a chez un jeune fou un projet de fête, invite-toi sans crainte, le diable n'est jamais déplacé dans une orgie, au contraire. » Et ils s'en étaient allés chez Wilfrid de Thanenburg.
On a su ce qui précéda et suivit les paroles du bourgmestre. Satan fit un signe à son élève, et l'un de droite, et l'autre de gauche, ils prirent joyeusement la moitié de Fribourg la plus éloignée de la cathédrale et s'enfuirent comme des larrons. C'était leur joie et ce brusque mouvement qui avaient interrompu le bourgmestre.


L'ébranlement de Fribourg en Suisse

Les deux démons ne savaient trop que faire de ce riche butin. Ils avaient enlevé Fribourg en vrais voleurs qui prennent par goût, par instinct, sans songer que la porte de l'enfer, quelque vaste qu'elle fût, et quoique donnant passage à des consciences d'une largeur remarquable, ouvrait inutilement ses deux battants devant, une demi-ville d'une dimension presque égale et d'une nature beaucoup moins élastique et compressible. Ils suivaient donc leur route aérienne sans but arrêté et en devisant, de choses et d'autres.
Ils remontèrent ainsi le Rhin jusqu'à Bâle, non sans admirer les riches plaines de l'Alsace. Puis, prenant un peu à droite ils s'avancèrent dans la Suisse. Satan discourait toujours.
Il est tout à coup interrompu par un ébranlement subit du fardeau que son jeune compagnon avait cessé de soutenir. A la vue du gouffre au-dessus duquel il planait, tout entouré de rochers à pic et de noires forêts suspendues sur l'abîme au fond duquel grondait un torrent écumant, Satan comprit que l'autre avait été soudainement effrayé de l'aspect sauvage de cette nature inculte, et que ce mouvement d'horreur avait causé sa chute. Il se précipita tête baissée avec lui. Fribourg les suivait.
La malheureuse ville ne fut cependant pas gravement endommagée. Elle se posa un peu rudement sur le flanc du ravin et roula de ci de là au fond de l'entonnoir. Cette ville est maintenant Fribourg en Suisse, où vous voyez (chose parfaitement explicable sans légende) des maisons superposées et des rues courant sur les toits. Satan et son compagnon, voyant la ville prendre possession de l'endroit, trouvèrent original d'être les fondateurs de cette cité qui tombait des nues, et laissèrent les convives et la colonie reconnaître leurs domaines.
Et cependant vous lirez partout qu'en l'an 1178, Berthold V de Zæhringen érigea en ville Fribourg, dans l'Œchtland, sans que des ouvrages, du reste fort estimables, vous disent un mot du fondateur.

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