La croyance relative à Virgile


L'origine de la légende de Virgile

Les hommes qui réfléchissent s'étonnent encore de la légende des faits merveilleux de Virgile, tradition du moyen âge, que tous les vieux chroniqueurs ont ornée à l'envi, et qui nous présente comme un grand magicien celui qui ne fut qu'un grand poète. Est-ce à cause de l'admiration qu'il inspira? Est-ce à cause de sa quatrième églogue, qui roule sur une prophétie de la naissance de Jésus-Christ? N'est-ce pas pour l'aventure d'Aristée et les descriptions magiques du sixième livre de l'Enéïde? Des savants l'ont pensé. Mais Gervais de Tilbury, Vincent de Beauvais, le poète Adenès, Alexandre Neeckam, Gratian du Pont, Gauthier de Metz et cent autres racontent de lui de prodigieuses aventures, qui semblent une page arrachée aux récits surprenants des Mille et une Nuits.
Nous croyons avoir trouvé l'origine de cette légende surnaturelle. De même qu'on a confondu le docteur Faust, ce grand magicien, avec l'inventeur de l'imprimerie; de même on a pu mêler un contemporain de Peppin-le-Bref, Virgile, évêque de Salzburg, avec le poète de la cour d'Auguste. Ce qui nous paraît de nature à consolider notre assertion c'est que les légendaires font du beau, de l'élégant Virgile, un petit homme bossu. Or, l'évêque Virgile était contrefait. Il avait beaucoup d'esprit. Né en Irlande, selon les uns, dans les Ardennes, selon les autres, il parvint par son seul mérite à la haute dignité de l'épiscopat. Ce fut lui qui soutint qu'il y avait des antipodes. Et comme il s'occupait d'astronomie et de sciences physiques, il laissa un renom de sorcier profondément attaché à sa mémoire. Le savant évêque portait le même nom que le grand poète. On a pu faire des deux un seul homme. Le temps s'est chargé du reste.
Une raison encore de ce que nous disons, c'est qu'une des légendes de l'auteur de l'Enéïde est intitulée: les Faits merveilleux de Virgile, fils d'un chevalier des Ardennes. Cette légende est celle qui présente le plus de choses extraordinaires. Nous allons rassembler ici un précis de cette légende bizarre, qui était de l'histoire pour nos pères, il y a 500 ans. Elle avait encore tant de croyants au XVIIe siècle, que Gabriel Naudé, dans son Apologie pour les grands personnages accusés de magie, se crut obligé de la réfuter sérieusement. Elle est toujours vivace à Naples, où le peuple en raconte des lambeaux avec bonne foi.


Sa rencontre avec le démon d'une grotte

Virgile, suivant les traditions historiques, naquit à Andes, petit village près de Mantoue, l'an de Rome 684, 70 ans avant Jésus-Christ. Suivant les autorités du XIe et du XIIe siècle, on ne peut pas fixer exactement le lieu de sa naissance. Mais presque tous les légendaires s'accordent à dire qu'il était fils d'un vaillant chevalier, aussi habile magicien que redoutable homme de guerre.
La naissance de Virgile fut annoncée par un tremblement de terre qui ébranla tout dans Rome. Et quelques-uns l'expliquent en disant que le chevalier dont il était fils n'était autre chose qu'un démon incube. Tels furent le père de l'enchanteur Merlin et le père de Robert-le-Diable.
Comme le petit enfant se montra, dès ses plus tendres années, subtil et ingénieux, ses parents l'envoyèrent à l'école, où il apprit toutes les sciences alors connues. Quand il fut devenu grand, un jour qu'il se promenait seul à l'écart, songeant à sa mère devenue veuve (car le chevalier de qui il tenait le jour avait disparu, sans que l'on sût où il était allé), il entra dans une grotte profonde, creusée au pied d'un vieux rocher. Malgré l'obscurité complète, il s'avança jusqu'au fond. Il entendit une voix qui l'appelait. Il regarda autour de lui, et dans les ténèbres qui l'entouraient, il ne vit rien. Mais la voix, se faisant entendre de nouveau, lui dit: « Ne vois-tu pas devant loi cette pierre qui bouche une étroite ouverture? » Virgile la heurta du pied et répondit:
« — Je crois la voir en effet.
— Ôte-la, reprit la voix, et laisse-moi sortir.
— Mais qui es-tu, toi qui me parles ainsi?
— Je suis le diable, qu'une main puissante a enfermé ici jusqu'au jugement dernier, à moins qu'un homme vierge ne me délivre. Si lu me tires d'ici, comme tu le peux, je t'apprendrai la magie. Tu seras maître de toutes les richesses de la terre, et nul être ne sera aussi puissant que toi.
— Apprends-moi d'abord la magie et le secret de tous les livres occultes, dit l'écolier. Après cela, j'ôterai la pierre. »
Le diable s'exécuta de bonne grâce. En moins d'une heure, Virgile devint le plus savant homme du monde et le plus habile magicien. Quand il sut tout ce qu'il voulait, il poussa la pierre avec son pied, et par l'ouverture qui n'était pas plus large que les deux mains, il sortit dans une fumée blanche un très gros homme qui à l'instant se mit debout.
Le jeune adepte ne comprit pas d'abord qu'un corps si énorme eût pu passer par une ouverture si étroite.
« — Il n'est pas possible, dit-il, que tu aies passé par ce trou.
— Cela est vrai cependant, dit le diable.
—Tu n'y repasserais pas assurément!
— J'y repasserais le plus aisément du monde.
— Je gage que non! »
Le diable piqué voulut le convaincre. Il rentra dans la petite ouverture. Aussitôt Virgile remit la pierre, et le prisonnier eut beau prier, l'écolier s'en alla, le laissant dans son obscur cachot.


Les retrouvailles avec sa mère

En sortant de la caverne, Virgile se trouva un tout autre homme. Il apprit par son art magique qu'un courtisan de l'empereur avait dépouillé sa mère de son château, que l'empereur refusait de le lui faire rendre, et qu'elle gémissait dans la misère. Il lui envoya aussitôt quatre mulets chargés d'or, et n'ayant plus besoin d'étudier, il se mit en route pour Rome. Beaucoup d'écoliers ses amis voulurent le suivre.
Il embrassa sa mère qu'il n'avait pas vue depuis 12 ans. Il combla de richesses tous ceux de ses parents qui avaient aidé la veuve dépouillée. C'était, selon l'usage, les plus pauvres.


Virgile contre l'empereur romain

Lorsque vint l'époque où l'empereur distribuait des terres aux citoyens, Virgile se présenta devant lui. L'ayant salué, il lui redemanda le domaine dont sa mère avait été injustement dépossédée. L'empereur, après avoir entendu ses conseillers, dont l'un possédait le château de la veuve, répondit qu'il ne pouvait faire droit à la requête. Virgile se retira en jurant qu'il se vengerait. Le temps des moissons approchait. Par son pouvoir magique, il fit enlever et transporter chez lui et chez ses amis tout ce qui pouvait se recueillir sur les terres qu'on lui avait confisquées.
Ce prodige causa une vive rumeur. On savait, la puissance de Virgile. On le voyait logé en prince dans un vaste et magnifique château, et entouré de tant de serviteurs qu'on eût pu en faire une armée. « C'est le magicien qui a fait cela », dirent les courtisans. « Il faut l'aller combattre » dit l'empereur. Et suivi de bonnes troupes, il marcha droit au château de Virgile, se proposant de le détruire et de jeter son maître dans une dure prison.
Dès que Virgile aperçut les bataillons qui venaient l'assiéger, il appela son art à son secours. D'abord, il enveloppa son château d'un brouillard si épais et si fétide, que l'empereur et les gens ne purent avancer plus loin. Ensuite, au moyen de certains miroirs merveilleux, il fascina tellement les yeux des soldats, qu'ils se croyaient tout environnés d'eau agitée et prêts à être engloutis.
L'empereur avait auprès de lui un nécromancien très habile, et qui passait pour le plus savant homme dans la science des enchantements. On le fit venir. Il prétendit qu'il allait détruire les prestiges de Virgile et l'endormir lui-même. Mais Virgile, qui se cachait à quelques pas dans le brouillard, entendit ces paroles. Et à l'instant, par un nouveau charme qui fut très prompt, il frappa tout le monde d'une immobilité si parfaite, que l'empereur et son magicien lui-même semblaient changés en statue. « Comment nous tireras-tu de là? » grommela le prince, sans conserver même la puissance de froncer le sourcil. « Il n'y a que Virgile qui le puisse » répondit tristement le nécromancien.
On proposa donc la paix. Aussitôt le philosophe parut devant l'empereur. Il exigea qu'on lui rendît l'héritage de son père; que l'étendue en fût doublée aux dépens des conseillers du prince, et qu'il fût admis désormais au conseil. Le César consentit à tout. Aussitôt les enchantements s'évanouirent. Virgile reçut l'empereur dans son château et le traita avec une magnificence inouïe.


La conception de la salvation de Rome

L'empereur, devenu l'ami de Virgile, lui demanda, puisqu'il était si savant et qu'il maîtrisait la nature, de lui faire un charme au moyen duquel il put savoir toujours si l'une des nations soumises songeait à se révolter. « Par là, dit-il, je préviendrai toutes les guerres et je régnerai tranquille. »
Le philosophe fit une grande statue de pierre qu'il appela Rome, et qu'il plaça au Capitole. Puis il prit la principale idole de chacune des nations vaincues, dans le temple où les Romains recevaient tous les dieux. Il les rassembla toutes et les rangea autour de la grande statue, leur mettant à chacune une trompette à la main. Dès lors, aussitôt qu'une des nations soumises pensait à se révolter, l'idole qui la représentait s'agitait, se tournait vers la statue de Rome, et sonnait de sa trompette d'une manière terrible. L'empereur, ainsi prévenu, envoyait des troupes, qui arrivaient toujours à temps. On appela ce talisman la salvation de Rome.


Les talismans de Virgile

Virgile avait conçu pour Naples une grande tendresse. Il habitait souvent cette ville riante, que même selon quelques-uns des légendaires il avait fondée et bâtie. Pendant, un été très chaud, de grosses mouches se répandirent dans la ville, et se jetant sur les boucheries, empoisonnèrent les viandes. Le philosophe, pour arrêter ce fléau, mit sur l'une des portes de Naples une grosse mouche d'airain qui, durant l'espace de 8 ans qu'elle y demeura, empêcha qu'aucune mouche vivante entrât dans la ville.
Virgile était occupé à construire, pour l'empereur, des bains si merveilleux, que chaque baignoire guérissait la maladie dont elle portait le nom, lorsqu'un fléau plus hideux que les mouches vint désoler la ville de Rome. C'était une nuée immense de sangsues, qui, se répandant la nuit dans les maisons, tuaient en les suçant beaucoup de citoyens. On eut recours au magicien. Il fit une sangsue d'or et la mit dans un puits profond hors de la ville, où elle attira tous les reptiles suceurs.
Voulant ensuite se faire admirer du peuple, Virgile alluma sur un pilier de marbre, au milieu du Forum, une lampe qui brûlait toujours, sans que la flamme eût besoin d'aucun aliment. Elle jetait une si belle clarté que Rome en était partout éclairée. A quelques pas, il plaça un archer d'airain qui tenait une flèche et un arc bandé, avec cette inscription: Si quelqu'un me touche, je tirerai ma flèche. 300 ans après, un fou ayant frappé cet archer, il tira sa flèche sur la lampe et l'éteignit.


L'humiliation et la vengeance de Virgile

Pendant qu'il exécutait ces grandes choses, Virgile ayant eu occasion de voir la fille de l'empereur, qui était jeune, belle et malicieuse, en devint très épris, quoiqu'il fût lui-même laid, bossu et philosophe. La princesse, voulant se divertir, fit semblant d'être sensible et lui donna rendez-vous le soir au pied de la tour qu'elle habitait. Il y vint. Au moyen d'une corbeille fixée au bout d'une corde, la princesse était convenue de le monter jusqu'à sa chambre avec l'aide de sa servante. Il se plaça dans la corbeille, et la jeune fille tira la corde. Mais lorsqu'elle vit le philosophe à moitié-chemin, elle fit un nœud à sa fenêtre, et le laissa suspendu dans les airs.
Le matin, en effet, tout le peuple qui se rendait, non pas à la procession, mais au marché, se moqua du poète, qui ne trouva qu'à la fin du jour une âme compatissante. Descendu à terre, il se hâta de rentrer chez lui. Et là, pour se venger avant tout du peuple qui l'avait raillé, il éteignit à la fois tous les feux qui brûlaient dans Rome.
Le peuple effrayé courut à l'empereur. Virgile fut mandé.
« — Les feux éteints ne se rallumeront pas que je ne sois vengé, dit-il.
— Vengé de qui?
— De votre fille. »
Il conta sa mésaventure, et il voulut que la princesse allât en chemise sur un échafaud dressé au milieu de la grande place, et que là, avec un flambeau, elle distribuât du feu à tout le peuple. Ce châtiment, qu'il fallut subir, dura trois jours. Virgile, pour se consoler un peu, s'en fut à Naples, où il se livra à l'étude. Ce fut alors qu'il mit sur une des portes de Naples deux statues de pierre, l'une joyeuse et belle, l'autre triste et hideuse, et qui avaient cette puissance que quiconque entrait du côté de la première réussissait dans toutes ses affaires. Mais ceux qui entraient du côté de l'autre étaient malheureux durant tout le séjour qu'ils faisaient à Naples.


La retraite de Virgile

Il se fit un jardin où fleurissaient les plantes et les arbres de toutes les contrées de l'univers. On y trouvait tous les animaux qui peuvent être utiles et tous les oiseaux chanteurs. On y voyait les plus beaux poissons du monde dans de magnifiques bassins. A l'entrée d'une grotte où Virgile renfermait ses trésors immenses, on admirait deux statues d'un métal inconnu, qui frappaient sur une enclume avec tant de mélodie, que les oiseaux s'arrêtaient dans les airs pour les entendre.
Il fabriqua un miroir dans lequel il lisait l'avenir, et une tête d'airain qui parlait et le lui annonçait.
Ne voulant pas de bornes à ses points de vue, il avait entouré ses jardins d'un air immobile, qui faisait l'office d'une muraille. Pour ses voyages, il construisit en airain une sorte de pont volant, sur lequel il se transportait aussi vite que la pensée partout où il voulait. On ajoute que c'est encore par son art qu'il creusa le chemin souterrain du Pausilippe, et qu'il mourut là.


La mort de Virgile

Citons l'anecdote d'Osmone sur la mort du philosophe-magicien-poète. Dans son Image du monde, Osmone conte que Virgile, sur le point de voyager au loin, consulta son androïde, c'est-à-dire sa tête magique qu'il avait faite, et qu'elle lui dit que s'il gardait bien sa tête son voyage serait heureux. Virgile crut qu'il lui fallait seulement veiller sur son œuvre. Il ne quitta pas son androïde d'un instant. Mais il avait mal compris. S'étant découvert le front en plein midi, il fut frappé d'un coup de soleil, dont il mourut. Son corps, comme il l'avait désiré, fut transporté à Naples, où il est toujours sous le laurier impérissable qui le couvre.
Les Napolitains regardent le tombeau de Virgile comme leur palladium. Aucun conquérant n'a osé le leur enlever. Ils croient aux merveilles que nous avons racontées et à d'autres encore. Le peuple de Naples vous le dira. Mais, à sa louange, il n'oublie pas les prodigieux faits de Virgile: les Géorgiques et l'Enéide.

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