La croyance relative à Tradition


Le bien et le mal comme base des traditions

C'est sur la fatalité et l'antagonisme du bien et du mal que se fonde la philosophie des traditions du peuple. Cette base se retrouve dans le conte le plus trivial où l'on introduit un pouvoir surnaturel. Et la nourrice, qui fait son récit au coin de la cheminée rustique, a la même science que les hiérophantes de la Grèce et les mages de la Perse. Le principe destructeur étant le plus actif dans ce bas monde, il reparaît dans toutes les croyances superstitieuses sous une variété infinie de formes, les unes sombres, les autres brillantes. On retrouve partout les mêmes personnifications d'Oromase et d'Arimane, et l'hérésie des Manichéens.
La vague crédulité du villageois ignorant s'accorde avec la science mythologique des anciens sages. Des peuples que l'Océan sépare sont rapprochés par leurs fables. Les hamadryades de la Grèce et les lutins de la Scandinavie dansent une ronde fraternelle avec les fantômes évoqués par le sorcier moderne. Celui-ci compose ses philtres, comme Canidie, avec la mandragore, la ciguë, les langues de vipère et les autres ingrédients décrits par Virgile et Horace. A la voix des sorciers modernes, comme à celle des magiciens de Thessalie, on entend encore le hibou crier, le corbeau croasser, le serpent siffler, et les ailes noires des scarabées s'agiter.
Toutefois, le Satan des légendes n'est jamais revêtu de la sombre dignité de l'ange déchu. C'est, le diable, l'ennemi, méchant par essence, de temps immémorial. Sa rage est souvent impuissante, à moins qu'il n'ait recours à la ruse. Il inspire la peur encore plus que la crainte. De là vient cette continuelle succession de caprices bizarres et de malices grotesques qui le caractérise. De là cette familiarité qui diminue la terreur causée par son nom. Les mêmes éléments entrent dans la composition de toutes les combinaisons variées du mauvais principe qui engendra la race nombreuse des lutins sortis de l'enfer.
Si le rire n'est pas toujours méchant et perfide, il exprime assez bien du moins la malice et la perfidie. C'est de l'alliance du rire et de la malice que sont nés tous ces moqueurs placés par les mythologues au rang des divinités. Tel est le Momus des Grecs et le Loki des Scandinaves, l'un bouffon de l'Olympe, l'autre bouffon des banquets du Valhalla.


Les démons à travers les peuples

Le vieil Heywood a rédigé en vers une nomenclature curieuse de tous les petits démons de la superstition populaire. Il y comprend les farfadets, les follets, les elfes, les Robin Goodfellews, et ces lutins que Shakespeare a donnés pour sujets à Oberon et à Titania. On a prouvé que le roi ou la reine de féerie n'est autre que Satan lui-même, n'importe son déguisement. C'était donc un démon que ce Puck qui eut longtemps son domicile chez les dominicains de Schwerin dans le Mecklembourg. Malgré les tours qu'il jouait aux étrangers qui venaient visiter le monastère, Puck, soumis aux moines, était pour eux un bon serviteur. Sous la forme d'un singe, il tournait la broche, tirait le vin, balayait la cuisine. Cependant, malgré tous ces services, le religieux ne reconnaît en lui qu'un esprit malin. Le Puck de Schwerin recevait pour ses gages deux pots d'étain et une veste bariolée de grelots pour boutons.
Le moine Rush de la légende suédoise, et Bronzet de l'abbaye de Montmajor, près d'Arles, sont encore Puck sous d'autres noms. On le retrouve en Angleterre sous la forme de Robin Goodfellow ou de Robin Hood, le fameux bandit de la forêt de Sherwood ayant reçu ce surnom à cause de sa ressemblance avec ce diable populaire. Enfin Robin Hood est aussi le Red Cap d'Ecosse, et le diable saxon Hodeken, ainsi appelé de l'hoodiwen, ou petit chaperon rouge qu'il porte en Suède lorsqu'il y apparaît sous la forme du Nisse ou Nisscgodreng.
Puck, en Suède, se nomma Nissegodreng (ou Nisse le bon enfant), et vit en bonne intelligence avec Tomtegobbe, ou le Vieux du Grenier, qui est un diable de la même classe. On trouve Nissegodreng et Tomtegobbedans dans presque toutes les fermes, complaisants et dociles si on les traite avec douceur, mais irascibles et capricieux: malheur à qui les offense! Dans le royaume voisin, au Danemark, les Pucks ont un rare talent comme musiciens. Il existe une certaine danse appelée la gigue du roi des Elfes, bien connue des ménétriers de campagne, et qu'aucun d'eux n'oserait exécuter. L'air seul produit le même effet que le cor d'Oberon: à peine la première note se fait-elle entendre, vieux et jeunes sont forcés de sauter en mesure. Les tables, les chaises et les tabourets de la maison commencent à se briser, et le musicien imprudent ne peut rompre le charme qu'en jouant la même danse à rebours sans déplacer une seule note, ou bien en laissant approcher un des danseurs involontaires assez adroit pour passer derrière lui et couper toutes les cordes du violon par-dessus son épaule.


La tradition du héro devenu demi-dieu

Dans les siècles de la chevalerie, une immortalité romanesque fut souvent décernée aux hommes supérieurs, par la reconnaissance ou l'admiration populaire. Ceux qui avaient vu leur chef ou leur roi dans sa gloire, après une bataille où sa bravoure le distinguait encore plus que sa couronne, ne pouvaient se faire à l'idée de le voir mourir comme le dernier de ses soldats. Le rêve d'un serviteur fidèle et la fiction d'un poète, d'accord avec la pompe des funérailles, avec l'intérêt d'une famille, avec la crédulité du peuple, tout concourait à prolonger au delà de la tombe l'influence du héros.
Peu à peu les honneurs rendus à sa cendre devenaient le culte d'un demi-dieu qui ne pouvait être sujet à la mort. Achille reçut des Grecs cette apothéose. De même les Bretons attendirent longtemps le réveil d'Arthur assoupi à Avalon. Et presque de nos jours, les Portugais se flattaient de l'espoir que le roi Sébastien reviendrait réclamer son royaume usurpé. C'est ainsi que les trois fondateurs de la confédération helvétique dorment dans une caverne près du lac de Lucerne. Les bergers les appellent les trois Tell, et disent qu'ils reposent là, revêtus de leur costume antique. Si l'heure du danger de la Suisse sonnait, on les verrait debout, toujours prêts à combattre encore pour reconquérir sa liberté.
Frédéric Barberousse a obtenu la même illustration. Lorsqu'il mourut dans la Pouille, dernier souverain de la dynastie de Souabe, l'Allemagne se montra si incrédule à sa mort, que cinq imposteurs, qui prirent successivement son nom, virent accourir autour de leur bannière tous ceux qui avaient applaudi au règne de Rodolphe de Hapsbourg. Les faux Frédéric furent successivement démasqués et punis. Cependant le peuple s'obstinait à croire que Frédéric vivait, et répétait qu'il avait prudemment abdiqué la couronne impériale. C'est un sage, disait-on. Il sait lire dans les astres. Il voyage dans les pays lointains avec ses astrologues et ses fidèles compagnons, pour éviter les malheurs qui l'auraient accablé s'il fût resté sur le trône. Quand les temps seront favorables, nous le verrons reparaître plus fort et plus redoutable que jamais. On citait à l'appui de cette supposition des prophéties obscures, qui annonçaient que Frédéric était destiné à réunir l'Orient à l'Occident. Ces prophéties prétendent que les Turcs et les païens seront défaits par lui dans une bataille sanglante, près de Cologne, et qu'il ira reconquérir la Terre Sainte. Jusqu'au jour fixé par le destin, le grand empereur s'est retiré dans le château de Kiffhausen, au milieu de la forêt d'Hercynie. C'est là qu'il vit à peu près de la vie des habitants de la caverne de Montésinos. Il dort sur son trône. Sa barbe rousse a poussé à travers la table de marbre sur laquelle s'appuie son bras droit, ou, selon une autre version, ses poils touffus ont enveloppé la pierre comme l'acanthe enveloppe un chapiteau de colonne.

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